Le Débat Stratégique Nº48 -- Janvier 2000
Bakpu-Ceyhan : les enjeux d'un " oléoduc "
Par Elie Kheir
Jusqu'en octobre 1999, la
compagnie pétrolière, BP-AMOCO, qui contrôle l'AIOC (Azeri International
Operating Company) refusait de s'engager en faveur de la construction de
l'oléoduc Baku-Ceyhan1 et préférait d'autres voies. Soit à travers
l'oléoduc Baku-Supra (en Géorgie) et par bateau, ensuite, à travers le Bosphore
et les Dardanelles, soit à travers un accord SWAP avec l'Iran sur la base duquel
l'Iran s'approvisionne en pétrole de la Caspienne pour ses régions du Nord,
frontaliers de cette mer fermée et exporte, de ses champs pétrolifères du sud,
vers le golfe arabo-persique, une quantité équivalente vers le marché
asiatique.
Les pressions de l'administration américaine ont fini par
avoir raison des réticences du géant pétrolier. L'accord pour la construction de
l'oléoduc Baku-Ceyhan, devenu entre temps Baku-Tiblissi-Ceyhan, a été signé le
17 novembre 1999 à Istanbul par l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, le Kazakhstan,
BP-AMOCO, la Turquie et comme témoin, par les Etats-Unis représentés par le
Président Bill Clinton lui-même2.
Depuis quelques années,
plusieurs accords ont été signés, le dernier en juillet 1999, en présence de
Bill Richardson, secrétaire d'Etat américain à l'Énergie. Cependant, celui de
novembre a plus de chances d'aboutir.
Les atouts actuels de
Bakou-Tibilissi-Ceyhan
En premier lieu, le fait que l'AIOC (contrôlé
par BP-AMOCO) a endossé l'Accord en question : les pressions de l'administration
américaine et ses promesses ont été déterminantes. En plus :
- Les Etats-Unis malgré le fait qu'ils (d'après leur loi) ne peuvent aider
financièrement une entreprise privée, ils ont trouvé le moyen de fournir, par
leur Trade Developpement Agency, (TDA) 843 000 $ pour une étude de faisabilité
confiée au gouvernement turc pour confirmer, bien sûr, cette faisabilité.
- Ils ont fait en sorte qu'un prêt garanti de 500 millions de dollars par
"US Overseas Private Investment Corporation" et "US Export-Import Bank" soit
accordé au géant pétrolier. Vu l'ampleur des investissements nécessaires pour
la construction de l'oléoduc Baku-Tiblissi-Ceyhan et le Gazoduc liant le
Turkménistan à Ceyhan aussi, sont évalués à plusieurs milliards de dollars
(Ankara et Washington estiment le coût à 6 milliards environ). Ce montant est
loin d'être déterminant dans la construction de l'oléoduc. L'estimation des
compagnies atteint le chiffre de 10 milliards de dollars3.
- Pour cette raison, les Etats-Unis se sont engagés à encourager le secteur
privé à investir dans le projet ainsi que les pays d'Asie Centrale à utiliser
cet oléoduc pour le rentabiliser (pour être rentable, cet oléoduc devrait
acheminer 1 million de barils par jour. Or, la production actuelle de
l'Azerbaïdjan est de 100 000 bj d'où l'importance de la participation Kazakh à
ce projet).
- La Turquie a joué un rôle important pour faire signer cet Accord : Elle a
contribué à régler un conflit entre l'Azerbaïdjan et le Turkménistan en
promettant l'achat du gaz des uns et des autres (le marché turc de l'énergie
se développe rapidement) et en persuadant ces deux pays, des enjeux globaux du
projet. Ankara, en plus, s'est engagé à prendre en charge le coût du projet
supplémentaire de son tronçon d'oléoduc (le plus long) ainsi que le coût des
inconvénients qui risquent de survenir dans des pays tiers (Géorgie et
Azerbaïdjan).
- Les dangers pour l'environnement de transporter le pétrole à travers les
détroits (et pour Istanbul, la plus importante agglomération turque, 10
millions d'habitants) ont fini par convaincre BP-AMOCO de signer l'Accord en
question.
Les enjeux stratégiques
Pour le Président
américain4 la "préoccupation principale est stratégique : il s'agit
de garantir que l'oléoduc et le gazoduc évitent la Russie et l'Iran, privent ces
deux pays du contrôle de l'approvisionnement énergétique de l'occident" et
permettant l'émergence d'un bloc pro-occidental (ou pro turco-américain) au cœur
de l'Eurasie et renforcer le rôle stratégique régional de la Turquie. Ainsi,
qu'il aboutisse ou non à terme, ce projet vise, avec le PFP à établir un bloc
pro-occidental au cœur de l'Eurasie.
La concrétisation d'un tel projet et
ses ambitions affecteront certainement l'ensemble des rapports de puissance dans
la région de la Caspienne et "ses frontières".
La Russie et l'Iran, mais
aussi la Chine et le Japon à un moindre degré, seraient affectés par l'éventuel
aboutissement du projet d'oléoduc Baku-Tiblissi-Ceyhan.
Ainsi, nous ne
pouvons pas exclure une coopération étroite (déjà bien avancée) entre l'Iran et
la Russie ou entre la Russie, l'Iran, le Japon et la Chine qui est devenue
importatrice net d'énergie depuis quelques années et investit énormément en Asie
centrale (9 milliards selon certaines sources) et "rêve" de construire un
oléoduc de plus de 3000 km, liant la Caspienne à l'Ouest de la Chine.
- A l'annonce de la signature de l'Accord sur le projet
Bakou-Tiblissi-Ceyhan, l'Iran a réagi violemment en considérant ce projet
comme étant "l'attaque américaine la plus dangereuse contre les intérêts
nationaux iraniens".
- La Russie, de plus en plus, considère la stratégie américaine sur son
flanc sud comme une atteinte aussi à ses intérêts nationaux. Le discours de
Samuel Berger (Président du Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis)
affirmant que le projet en question "n'est pas dirigé contre la Russie" n'est
qu'une tentative, dans les conditions actuelles, pour calmer le jeu.
Un avenir incertain
Au lendemain de la signature de
ce projet d'oléoduc, le Président de BP-AMOCO a déclaré qu'il comptait sur
l'aide américaine pour recueillir les fonds nécessaires à ce projet et son
soutien pour encourager les autres producteurs d'Asie centrale à utiliser cet
oléoduc pour le rentabiliser. Il a fixé la date limite d'octobre 2000 pour
trouver les investissements nécessaires à ce projet.
La nécessité, pour
BP-AMOCO, de trouver les investissements nécessaires avant octobre 2000, est
dictée par le fait que cet oléoduc devrait être fonctionnel pour l'an 2004, date
à laquelle ce géant pétrolier estime qu'il aura une quantité substantielle de
pétrole à acheminer malgré les déconvenues des derniers mois.
Elie Kheir
1. International Herald
Tribune, 22-11-1999.
2. International Herald Tribune, 19-11-1999 et
Al-Hayat, 16-11-1999.
3. Financial Tmes, 19-11-99.
4.
Ibid.
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