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OFFENSIVE DES TRANSNATIONALES DU PÉTROLE

Plan Colombie et pétrole : l’hégémonie des quatre soeurs

 

par Hectór Mondragón Báez

janvier 2001

Les Etats-Unis et une partie de l’Europe occidentale, à travers de leurs entreprises multinationales, vécurent en 1999 et durant le premier semestre de 2000 une notable apogée économique alimentée par les ressources des pays en crise et avivée par la guerre au Kosovo. Une telle apogée est aujourd’hui menacée, spécialement par la hausse des prix du pétrole stimulée par d’autres pays qui pourraient en bénéficier.

En effet, plusieurs des pays les plus touchés par la crise internationale de 1997 et 1998 et qui sont producteurs de pétrole, comme l’Indonésie, la Russie, l’Equateur et le Vénézuela, pourraient bénéficier des prix actuels. Précisemment, c’est du Vénézuela que partit l’initiative d’une réactivation de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) très affaiblie depuis la décennie 80 quand la production massive des puits de la Mer du Nord et du Mexique affaiblit son unité et les prix.

Pendant ce temps, d’autres nations, affectées également par la crise, touchées par la hausse des prix, et bien qu’elles soient productrices de brut, doivent importer en quantité pour leur consommation. C’est le cas du Brésil. En même temps, le Japon, un pays puissant, commence à sortir d’une forte récession et, comme les Etats-Unis et l’Europe, est intéressé dans une baisse des prix des combustibles.

Au sein de ces mouvements dans le monde pétrolier, les "sept soeurs" - les sept transnationales dominantes dans le commerce du pétrole dans le monde et toutes issues de pays du Nord - se réduisirent dans la pratique à quatre : la Shell émergea comme entreprise directrice, suivie de la British Petroleum (BP) qui acheta la Amoco. La Chevron acheta à son tour la Texaco qui, comme la Occidental, était tombée sous l’influence de Shell, et, ensuite, l’étasunienne Exxon acquit la Mobil recréant ainsi l’ancienne Standard Oil. C’est ainsi que les transnationales Shell, Exxon, BP et Chevron se sont retrouvées hégémoniques dans leur secteur et travaillant aujourd’hui entourées d’entreprises mineures, présentes dans de multiples secteurs économiques. Ce sont elles précisemment qui sentent avec le plus d’intensité le contrepoids de l’OPEP.

Le moment est arrivé

Dans cette situation, les réserves pétrolières de Colombie apparaissent comme un gros morceau. Sans être comparables à celles du Vénézuela, elles sont importantes et, jusqu’à maintenant, soigneusement réservées pour le meilleur moment qui semble être arrivé : les deux derniers gouvernements ont levé toutes les barrières du pays face au sacage transnational.

Avec Samper, une transnationale (Texas, sous le joug de Shell) réussit pour la première fois à ce qu’un contrat d’hydrocarbures ne revienne à Ecopetrol - l’entreprise pétrolière publique colombienne - à la date fixée et qu’il soit prorrogé : c’est ce qui se passa dans le cas du gaz de la Gajira. Le gouvernement fournit prébendes après prébendes en échange du plus décidé appui public des entreprises pétrolières, face à la crise qu’il subir par le proceso 8.000. A partir de ce moment, le système de contrat a été modifié changeant les parts d’association à un 50% - 50%, élevant scandaleusement la participation des transnationales, autorisant des diminutions de taxes (regalias) et modifiant des contrats déjà signés au bénéfice de la partie étrangère.

Au cours des années 1999 et 2000 furent signés en vrac des contrats avec lesquels le territoire national fut reparti entre transnationales étasuniennes, comme la Chevron et la Occidental, anglaises, comme la BP et la Shell, canadiennes, comme la Canadian-Oxy, Alberta et Mera-Milles, et espagnoles, comme la Repsol et la Hocol. Il est impressionnant de regarder les plans d’Ecopetrol. La "round" de négociation 2000 complète la répartition. L’occident amazonique et le département du Putumayo furent fournis millimètre par millimètre, non pas par coïncidence car c’est le scénario initial du Plan Colombie. Il ne reste plus qu’à distribuer une bonne partie des bassins du Pacifique et du Sud oriental.

Un plan de sacage

Dans ce cadre, le Plan Colombie prend toute sa dimension. Précisemment, avec lui, s’orchestre le plus humiliant listing de cadeaux devenus réalité en faveur des transnationales pétrolières, c’est sur le terrain de l’exploitation du pétrole qu’espèrent recevoir le plus ces entreprises, en échange de l’aide que les Etats-unis et d’autres pays donnent au Plan. En octobre 1999, Andrés Pastrana offrit l’or et le maure aux entreprises pétrolières des Etats-Unis réunies à Houston sous la houlette du candidat républicain, à l’époque, George W. Bush. Pour le candidat démocrate Al Gore aussi, il y eut un geste : sacrifier le territoire des indigènes U’wa à la Occidental qui est une de ses associés. Pour finir, le président Pastrana donna tout, pour ce qu’il attend recevoir d’Europe comme appui au Plan et pour les miettes de 900 millions de dollars que les Etats-Unis donneront à la guerre.

Le cas de El Cerrejón est illustratif. la transnationale Exxon (Intercor) bénéficia de l’élimination de la norme constitutionnelle de 1991 qui permettait l’expropriation sans indemnité pour des raisons d’équité quand le pays avait été escroqué. Ce dernier chapitre dans l’histoire de la mine a un rapport avec les mesures du Plan Colombie et signifie une lésion énorme pour la Nation qui, sans rien gagner, privatisa "sa part", la fournissant à une filiale de Shell.

De manière évidente, le Plan Colombie favorise les transnationales et leur globalisation néolibérale en se donnant comme objectif prioritaire de mettre en oeuvre des "mesures pour attirer les investissements étrangers et promouvoir l’expansion du commerce", renforçant les traités de protection des investissements étrangers et les dispositions de libre importation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

De fait, dans l’amendement au Plan Colombie proposé, aux Etats-Unis, par les sénateurs Dewine, Grassley et Coverdell, la priorité pour l’investissement étranger et en particulier pour l’industrie pétrolière est exigée.

Mais ce que les transnationales veulent va au-delà. Elles espèrent que le Plan Colombie leur servira pour récupérer le contrôle de la région. Le même sénateur Coverdell affirma en plus que la nécessité de protéger les intérêts pétroliers au Vénézuela justifiait l’aide à la Colombie [Coverdell 2000, A21] en accord avec la vision du vice-président de la OXY qui affirma qu’il était nécessaire d’appliquer le Plan Colombie dans le Nord de Santander (frontière avec le Vénézuela) où se trouve l’exploitation du Catatumbo et la perforation de Gibraltar, au sein du territoire de la communauté indigène U’wa [El Tiempo 2000].

Récupérer l’hégémonie

Les quatre grandes transnationales ont une autre préoccupation importante en plus de celle concernant l’immense potentiel pétrolier latinoaméricain : c’est le gouvernement vénézuélien qui, en plus de promouvoir la revitalisation de l’OPEP et de rendre visite à l’Irak, alimente des alliances avec des pays consommateurs du Sud. L’agence Reuters annonça, depuis Caracas, le 28 juin passé, que les "gigantesques pétroliers du Vénézuela et du Brésil signent des accords pour créer des entreprises conjointes de distribution et de commercialisation d’essence et de dérivés pétroliers vénézuéliens au Brésil".

On sait que le gouvernement brésilien n’est pas totalement conséquent avec son allié vénézuélien. Il essaie à la fois d’échanger des actions de Petrobrás avec l’entreprise espagnole Repsol et s’associe à la filiale canadienne de la Occidental pour tirer le pétrole colombien dans le Melgar, le Boquerón et le Guamo. Cependant, le double jeu du Brésil et de Petrobrás ne fait qu’augmenter la jalousie étasunienne et britannique face à la possibilité d’une rupture monumentale de l’hégémonie des "quatre soeurs".

D’autre part, le Vénézuela a renforcé généreusement des accords pour fournir du pétrole moins cher aux pays centroaméricains et des Caraïbes, y compris Cuba.

Ainsi, les quatre soeurs essaient de défendre leur hégémonie et il serait naïf d’aborder le problème pétrolier en dehors de ce panorama stratégique. La vision de Coverdell est effectivement celle des grandes entreprises pétrolières : l’intervention des Etats-unis en Colombie et dans le Putumayo, en particulier, est la clé pour réinstaurer l’hégémonie des Etats-Unis et spécialement pour défendre celle des transnationales. C’est la forme de rappeler militairement à l’ordre politique l’incommode gouvernement vénézuélien et l’instable Equateur et de rappeler à l’ordre économique l’hésitant Brésil et Petrobrás. Le Plan Colombie en Colombie

Les droits, un obstacle

Le Plan colombie et le projet d’entrer dans le traité de libre-échange avec les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, connu comme l’ALENA, menacent les territoires indigènes, s’attaquant à l’inaliénabilité des réserves et des terres communautaires. Ce projet veut mettre toutes les terres sur le marché et jeter à la poubelle le droit fondamental des indigènes.

Dans la constitution de 1991, les peuples indigènes de Colombie se virent reconnaître leurs réserves et terres communautaires comme inaliénables. Mais le président Pastrana déclara, le 11 février 2000, au Congrès de Calidad des chefs d’entreprise, que la Colombie réformera la Constitution pour donner plus de liberté aux investissements étrangers et pour pouvoir s’associer à l’ALENA.

Les transnationales considèrent que les peuples indigènes sont un obstacle pour leurs investissements, parce qu’ils les empêchent de détruire la nature et de s’emparer de tout ce qu’ils veulent avec de l’argent pour en faire plus. Elles considèrent la Constitution comme un obstacle qui leur interdit d’endommager l’intégrité culturelle, sociale et économique des peuples indigènes. Elles s’obstinent maintenant à exproprier les U’wa d’une terre communautaire qui fait partie de la réserve créée par Cédula du Roi d’Espagne depuis 1616. Elles veulent que la Occidental initie la perforation pétrolière de Gibraltar.

Ces expropriations suivent leur cours moyennant des ordonnances judiciaires, d’une manière à imposer le reniement de la propriété des terres indigènes et paysannes, au travers de projets comme le Code des Mines qui, dans diverses versions, suit son chemin au Congrès de la république depuis 1996. Avec ces projets, elles prétendent en plus faire valoir les contrats octroyés par le gouvernement, passant au-dessus des droits des communautés et ne reconnaissant pas les conquêtes sociales des indigènes sur les mines.

Plan Colombie et réforme agraire

Si les transnationales menacent les territoires indigènes, les propriétaires terriens du pays prétendent aussi s’en emparer. L’aide étrangère payerait aux latifondistes colombiens le pétrole, et avec l’exploitation du celui-ci et les mégaprojets, le prix de leurs terres augmenteraient, ce qui est, en fin de compte, ce qu’ils recherchent : la valorisation des terres dont ils s’emparent dans le Magdalena Medio, le Carmen de Bolivar, le Catatumbo ou le Putumayo. De cette manière, le Plan Colombie servirait à maintenir un système historique de domination de la terre, de l’économie rurale et des gens.

Dans le Plan Colombie, la priorité est donnée aux dites Alliances stratégiques, principalement au sein des plantations de palme africaine, de bois, de caoutchouc et de cacao.

Le gouvernement dit :

"Seront impulsés des noyaux productifs agricoles et forestiers, dans lesquels se focalisent les efforts de l’Etat au développement rural. ils doivent être compris comme des processus socio-économiques générés autour d’une activité principale dans laquelle les communautés rurales s’intègrent avec le secteur entrepreuneurial sous forme d’alliance stratégique au sein de projets productifs à succès" [Présidence 1998, 260, cursives de l’auteur]

Les grands projets d’investissement seraient "l’activité principal" et les "projets productifs stratégiques" seraient définis par les "alliances stratégiques", que sont le métayage à grande échelle [Molanoi 1998], dans lesquelles l’indigène et le paysan donnent leur terre pour que les propriétaires terriens et les chefs d’entreprise en bénéficient. De cette manière, avec le projet de loi agraire 151 de 1999, le gouvernement n’a pas voulu conditionner la récupération des terres indigènes à l’élaboration de tels "projets productifs", niant la protection constitutionnelle à la diversité culturelle.

Le développement alternatif proposé par le Plan Colombie n’est pas autre chose que le modèle malais d’un entrepreneur de la palme africaine, ex-ministre de l’agriculture et assesseur du président Pastrana, Monsieur Carlos Murgas Guerrero. Son modèle est appuyé par Fedepalma, Augura et Fedegán qui représentent les dites Alliances stratégiques sous leur commandement.

Le système de donner la priorité aux plantations est copié de Malaisie, de Thaïlande et d’Indonésie où les effets écologiques ont été terribles : forêts détruites, pollution de l’air par les brûlis et anéantissemnt culturel et ethnique des populations indigènes [Simons 1998, Survival 1992, Djuweng 1996]. Logiquement, cet aspect n’intéresse en rien les grands propriétaires fonciers. Mais curieusement non plus celui des perspectives économiques de leurs plantations.

Dans la situation actuelle, l’avenir du marché de la palme africaine est très incertain. Bien que dans le premier trimestre de 1999, la production a auglenté de 24% et les exportations de 12%, les prix internationaux diminuèrent simultanément de 25% et les prix internes de 31% [El Espectador 1999a]

"La chute de tels prix a plusieurs explications. On prévoit une augmentation de 1,8 millions de tones de haricots soya aux Etats-Unis face à celle de 1998. Il est aussi attendu une meilleure offre d’huile de soya et de tournesol, du fait des récoltes records en Argentine et au Brésil. La production mondiale d’huile de palme sera supérieure de 1,3 millions de tones à celle de l’année antérieure. De l’autre côté, la grande dévaluation de la monnaie brésilienne, la réduction des taxes aux exportations en Indonésie et les achats moindres de la Chine, pays qui ensemble avec l’Inde ont participé à 50% de la croissance de la demande totale d’huiles et de graisses dans les trois dernières années, sont des facteurs additionels qui ont contribué à l’écroulement des prix [El Espectador 1999b].

Par conséquent, quelle est la perspective de ces grands cultivateurs si cette situation des prix est tant évidente ? Leur perspective est la même que celle d’autres grands propriétaires de terres industrielles et d’élevage. Ce qui les intéresse en réalité est la valorisation des terres, de celles dont ils s’emparent dans le Magdalena Medio, le Carmen de Bolivar, le Catatumbo ou le Putumayo, des terres dont le prix augmentera par l’exploitation pétrolière et les mégaprojets.

L’alternative au Plan Colombie signifierait, ni plus ni moins, que, dans les zones où sont annéanties les cultures illégales des paysans et des indigènes via les fumigations, il ne leur resterait plus d’autres remèdes que de se subordonner à des contrats de métayage à granche échelle. C’est-à-dire qu’il y aurait une contre-réforme agraire dans laquelle la propriété paysanne serait substituée par la domination des grands cultivateurs qui bénéficieraient de la main-d’oeuvre paysanne et indigène sous des formes de servitude.

Un cadre complet

La lutte contre le Plan Colombie a à voir directement et étroitement avec la défense de l’environnement, des ressources pétrolières du pays, des peuples indigènes et des autres communautés rurales. Cela a à voir avec la défense de l’entreprise public ECOPETROL de la vague de privatisation. Mais cela va bien au-delà. Il s’agit profondémment de rejeter un système historique qui est en crise, de questionner un état de chose qui maintient le pays dans une terrible situation. Et, dans ce sens, l’attitude défensive est insuffisante.

Il faut tracer une stratégie qui se base sur l’affirmation des décisions et la gestion des communautés et de leurs autorités et organisations propres, une stratégie qui s’édifie sur la diversité culturelle et la protection de l’environnement et qui conflue vers l’unité latinoaméricaine.

La Colombie devrait s’intégrer à l’accord Brésil-Vénézuela qui se projette en plus aux accords pétroliers du Vénézuela avec les pays centraméricains et des Caraïbes et qui, peut-être, dans le futur, intègrera tout l’Amérique du Sud. La stratégie doit aller vers la formation d’une entreprise latino-américaine de production et de distribution d’hydrocarbures en rupture avec l’hégémonie des quatre soeurs, il faut que se dessine une politique cohérente par rapport aux droits des peuples indigènes et au droit général à un environnement sain qui, en Colombie, s’exprime aujourd’hui dans la défense et la solidarité avec le peuple U’wa.

Article paru dans la revue "Ruiría - El grito del petroleo", Censat Agua Viva, Colombie.

Traduction : Frédéric Lévêque, pour RISAL.