Depuis 1995, le gouvernement de Pékin
mène une politique énergétique internationale globale afin de
minimiser sa dépendance excessive vis-à-vis du pétrole du
Moyen-Orient. La Chine reconnaît elle-même la faiblesse de son
influence dans cette région, sa position étant d’autant plus
précaire que la situation au Moyen-Orient est instable et donc
contraignante . Le pouvoir de contrôle de l’État chinois sur
son ravitaillement en pétrole dans cette zone demeure donc
faible. Le pays en a tiré des conséquences qui se traduisent
par un léger retrait, proportionnellement parlant, de la
région. Ainsi, si en 1996 le pétrole brut en provenance du
Moyen-Orient représentait 53 % du total des importations, ce
taux est tombé à 46,2 % en 1999.
Cela dit, il semble
qu’il sera impossible de descendre en dessous d’un certain
seuil d’approvisionnement pour cette région du monde : dans
les années 1990, la Chine n’avait réussi à ramener son taux
qu’à 40 %, ce qui était déjà un niveau très bas .
La
diversification des sources d’approvisionnement à l’étranger
est donc impérative.
Au delà des facteurs
d’ordre politique, ressortent également des contraintes
techniques. En effet, une partie du pétrole en provenance du
Moyen-Orient est lourdement chargé en sulfures, ce qui exige
certaines installations de raffinage dont la Chine ne peut
indéfiniment augmenter la capacité, à moins d’investir
massivement dans le renouvellement de ses raffineries. Le
potentiel maximum de traitement journalier actuel du pays est
de 4,35 millions de barils de pétrole brut à sulfure bas, 160
000 barils à sulfure moyen et 240 000 barils à sulfure élevé .
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La Chine doit donc tenter de
diversifier ses importations vers la Russie et les pays d’Asie
centrale.
En même temps, elle continue à rechercher
d’autres sources stables et essaye même d’acquérir des
gisements en investissant directement. Et l’Afrique est une de
ses cibles privilégiées.
La production
africaine de pétrole brut représente 10 % de la production
mondiale. Et parmi les onze États membres de l’Organisation
des pays exportateurs de pétrole (OPEP), on recense trois pays
africains : l’Algérie, la Libye et le Nigeria. Jusqu’en 1992,
l’Angola était l’unique fournisseur africain d’hydrocarbures
de la Chine, mais dans des proportions modérées. La plupart du
pétrole brut provenait du Moyen-Orient, d’Amérique du Sud et
d’Asie du Sud-Est. À partir de l’année suivante, la Chine a
commencé à réajuster sa politique d’approvisionnement : la
quantité de pétrole en provenance d’Angola a augmenté de façon
importante, passant à 24 480 b/j et plaçant l’Angola au 4e
rang des pays fournisseurs d’hydrocarbures de la Chine ,
laquelle avait également commencé à se tourner vers d’autres
pays africains. Cela dit, le Moyen-Orient conservait sa place
privilégiée.
Afrique : la terre
promise
Dans l'après guerre froide, la question
du pétrole devient un vecteur important de la politique
étrangère de la Chine vis-à-vis de l’Afrique. Pourquoi le pays
vise-t-il l’Afrique pour se procurer ses ressources en
hydrocarbures ? Il faut tout d’abord savoir que l’industrie et
le marché pétroliers sont étroitement contrôlés par une
poignée de sociétés occidentales appelées jadis les « sept
sœurs « , sous l’égide de leurs pays d’origine. Le caractère
spécifiquement « hors système » de l’Afrique dans
l’après-guerre froide permet à la Chine une excellente percée
dans sa quête de pétrole, même si elle y est late comer.(venue
tard)
Son objectif est de diversifier ses sources
énergétiques afin d’éviter de « mettre tous ses œufs dans un
même panier ». Ce qui importe le plus pour la Chine, ce sont
les opportunités d’investissements directs. Celles-ci peuvent
être considérées sous deux angles : il s’agit soit de réaliser
des projets de prospection par le biais de joint-venture, soit
d’acquérir des gisements pour diminuer la dépendance vis-à-vis
du marché.
Ainsi, en 1997, la China National Petroleum
Corporation (CNPC), firme pétrolière numéro une en Chine,
s’est associée avec l’entreprise malaisienne Petronas et avec
l’entreprise canadienne Talisman pour passer un accord avec la
Sudapet, entreprise d’État pétrolière représentant le
gouvernement soudanais, en vue de procéder ensemble à la
prospection, l’exploitation et la mise en place d’oléoducs sur
le site du bassin de Muglad situé au sud du Soudan. Le projet
Muglad montre à la fois l’importance de l’Afrique pour la
Chine en ce qui concerne l’approvisionnement pétrolier, et les
efforts menés par la Chine à cet égard.
Ce projet a
nécessité un investissement global d’un milliard de dollars.
C’est le premier et le plus grand projet de ce type mené par
une entreprise d’État chinoise sur le continent africain . Il
se juxtapose à un autre projet sans précédent appelé «
développement d’envergure des gisements » et concernant
le Kazakhstan, le Venezuela et l’Irak. Le montant de
l’investissement prévu pour ce dernier projet s’élève à 5,6
milliards de dollars.
Le montant total de
l’investissement chinois dans le projet Muglad au Soudan
demeure par contre une énigme. Selon Philip Andrews-Speed (la
source principale du tableau précédent), les Chinois auraient
participé à hauteur de 700 millions de dollars. Pour Gérard
Prunier, spécialiste de l’Éthiopie et directeur de recherche
au CNRS français, la quote-part chinoise au projet s’élèverait
à 40 %, et celles de la Petronas, de la Talisman et de la
Sudapet respectivement à 30 %, 25 % et 5 % . Le taux de
participation canadienne de 25 % est confirmé par le New York
Times . Nous estimons donc que l’investissement chinois se
situe dans une fourchette allant de 400 à 700 millions de
dollars. Malheureusement, une partie de l’investissement
chinois se présente en nature, comme le dénonce Gérard
Prunier, sous la forme d’une main-d’œuvre gratuite, celles de
ses prisonniers expatriés pour acquitter des travaux
forcés.
Les puits numéros 1, 2 et 4 du Muglad ont été
programmés pour produire chacun 2,4 millions de tonnes de
pétrole brut à partir de l’an 2000 , soit une production
totale de 144 000 b/j. D’après sa quote-part dans la
joint-venture, la Chine devrait en obtenir une quantité
journalière de 60 000 barils, soit 5 % du volume total de ses
importations pour cette année-là . Ce taux d’occupation ne
semble pas énorme à première vue, mais le calcul fait à partir
des statistiques fournies par les sources officielles
chinoises révèle des chiffres plutôt significatifs : en 2000,
la Chine a obtenu un total de 6 millions de tonnes de brut
provenant de tous ses puits à l’étranger , soit un volume de
120 000 b/j. Nous découvrons alors que les 60 000 b/j en
provenance du Soudan représentent déjà la moitié de la
production des puits acquis par la Chine à l’étranger …
Le
gouvernement chinois prévoit de doubler, voire tripler, la
capacité de tous ces puits soudanais d’ici 2005. Par ailleurs,
d’après des sources américaines, le rendement de ces puits
serait bien plus prometteur que ce que le gouvernement chinois
aurait révélé. Ainsi, le gisement soudanais numéro 6,
opéré par la Zhongyuan Petroleum Corporation, filiale de la
China Petrochemical Corporation (SINOPEC), seconde firme
pétrolière de la Chine, a rapporté à lui seul 200 000 b/j en
2000 , soit, d’après nos calculs, 10 millions de tonnes de
bruts par an. Quoi qu’il en soit, cela signifie que les
investissements chinois au Soudan joueront à l’avenir un rôle
crucial, quelle que soit l’estimation des diverses sources
d’information. C’est une très bonne opération en termes de
coûts et de rendement, comparé à d’autres projets menés par la
Chine dans le monde entier (cf. tableau). Le projet s’avèrera
sans conteste de plus en plus productif au fur et à mesure de
son développement.
Les autres sources
d’approvisionnement africaines, l’Angola, l’Égypte, le Nigeria
ou encore le Congo-Brazzaville, ne sont pas à négliger non
plus. Et cette année, le Gabon s’ajoute à la liste des
fournisseurs.
Ce dernier ralliement est le fruit de
la patience. La Chine n’ était jamais arrivée à accéder aux
ressources pétrolières gabonaises, malgré l’amitié
exceptionnelle entre les deux pays et le potentiel productif
de ce pays d’Afrique. Le président gabonais, Omar Bongo, est,
rappelons-le, le chef d’État africain le plus souvent invité à
Pékin, au même titre que son homologue congolais, le président
Denis Sassou N’Guesso. Or, la Chine a commencé relativement
tôt à s’approvisionner en pétrole brut congolais, même si les
quantités achetées demeurent peu importantes à ce jour. Du
brut gabonais va enfin commencer à être livré en Chine en
2004, grâce à la visite à Libreville du président chinois Hu
Jintao en début d’année et à un accord économique bilatéral
conclu durant cette visite. Cet approvisionnement arrive juste
au moment où la production pétrolière gabonaise commence à
rencontrer des difficultés de production.
D’après les
sources chinoises, la Chine a acheté aux pays africains 7,25
millions de tonnes de brut (équivalant à 145 000 b/j) en 1999,
soit une augmentation de 205 % par rapport à 1998. Toujours
dans la même année, le pétrole brut africain représentait 37 %
du chiffre d’affaires du commerce bilatéral total,
c’est-à-dire de 6,4 milliards de dollars . En 2000, les
importations chinoises en hydrocarbures africains ont doublé,
atteignant 17 millions de tonnes, soit l’équivalent de 340 000
b/j. La moitié de ce volume provenait d’Angola, suite à la
découverte de gisements off-shore au Cabinda. Par ailleurs, le
montant des achats chinois d’hydrocarbures auprès de l’Égypte
était multiplié par trois en l’espace d’une année, passant de
34 millions de dollars en 1999 à 102 millions en 2000
.
L’approvisionnement africain représente déjà
environ un quart de la totalité des importations de pétrole de
la Chine.
De plus ce taux ne cesse de croître.
Ainsi, en 2000, la Chine a connu son premier déficit
commercial avec l’Afrique depuis des décennies, 512,4 millions
de dollars, du fait de l’augmentation galopante des
importations de pétrole brut. C’est aussi pendant cette année
que le montant total des transactions entre la Chine et les
pays d’Afrique a battu son record pour atteindre 10,6
milliards de dollars. Depuis, la Chine demeure en déficit
commercial avec l’Afrique, et la cause en est résolument le
pétrole.
Des jeux sophistiqués
La
stratégie pétrolière de la Chine est souvent
multidimensionnelle puisqu’elle se déploie dans les domaines
aussi bien diplomatiques et politiques qu’économiques et
militaires (notamment à travers les ventes
d’armes).
Parlons tout d’abord des " relations spéciales ".
Comme le fait remarquer Sergei Troush, chercheur visiteur à la
Brookings Institution, la mise en place de ce type de
relations est considérée par la Chine comme un levier
politique au service de sa diplomatie du pétrole. Dans l’usage
diplomatique chinois, les « relations spéciales » ont souvent
été nouées par un traité d’amitié. Le cas de l’amitié
sino-vietnamienne est typique à cet égard. De nos jours, il
n’est plus question de nouer des alliances, la Chine gardant
un souvenir amer de son alliance avec l’ex-URSS. Cela dit, la
logique des « relations spéciales » demeure ; seuls les outils
ont été modifiés. Aujourd’hui, ces relations peuvent consister
en un lien privilégié couplé d’un partenariat global,
constructif ou stratégique.
Parallèlement, la Chine se sert
de sa place éminente au sein des Nations Unies pour soutenir
politiquement ses pays fournisseurs d’hydrocarbures. Le
soutien chinois est d’autant plus précieux que ces pays sont
sanctionnés par les Nations Unies pour des raisons de
violation des obligations internationales. Mais les faveurs
chinoises sont loin d’être gratuites puisque la Chine attend
en contrepartie des conditions préférentielles à la
coopération dans les domaines pétroliers. Par ailleurs,
l’empire du Milieu va même jusqu’à recourir à la vente de
technologies de pointe et d’équipements nucléaires en échange
d’importations pétrolières .
La Chine maintient souvent des
relations militaires avec ses fournisseurs de pétrole. De ce
point de vue, les cas de l’Angola, du Soudan et du Nigeria
sont révélateurs. En 1995, lorsque le Nigeria a été isolé et
sanctionné par la communauté internationale pour l’exécution
de neuf dissidents politiques ognis, Pékin a continué à vendre
des armes à ce pays, en dépit de la forte pression
occidentale.
Dans le cas de l’Angola, Pékin joue
un jeu opportuniste.
Les trois forces hostiles en
Angola - les Mouvements populaires de libération de l’Angola
(MPLA), le Front national de libération de l’Angola (FNLA) et
l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola
(UNITA) – ont toutes été approvisionnées en armement chinois.
De fait, la Chine livre généreusement des armes dans ces pays
pour consolider ses liens bilatéraux et payer ses factures de
pétrole brut.
Lorsque des conflits frontaliers ont été
provoqués par l’Angola et par le Soudan, la Chine a prêté un
soutien diplomatique et militaire ferme à ces deux pays. Et
c’est dans cette ambiance très amicale que le gouvernement
chinois a successivement livré au Soudan, de 1995 à 1997, un
gros effectif d’armements comprenant six avions de combat de
classe F6, cinquante hélicoptères de type Z-6 et cent
artilleries mobilisées. Cette transaction fait partie d’une
des plus importantes ventes d’armes chinoises en Afrique pour
le milieu des années 90 . C’était en 1997, date à laquelle,
rappelons-le, la Chine avait obtenu de Khartoum le droit
d’acquérir des gisements au Soudan. Symbole politique de la
création de l’axe Chine-Soudan, une succursale de la banque
d’import-export de la Chine a, pour la première fois en
Afrique, été mise en place dans la capitale soudanaise cette
même année.
Après la guerre froide, il est évident que la
Chine préfère largement privilégier une stratégie de relations
amicales avec les pays fournisseurs de pétrole. Cette logique
s’étend également aux pays traversés par les convois maritimes
pétroliers vers la Chine, qui ne dispose pas d’une puissance
maritime de projection au-delà de ses eaux territoriales.
Erica Strecker Downs parle d’une « double dépendance » de la
Chine en matière d’hydrocarbures : non seulement le pays
doit se fournir à l’extérieur, mais de plus, il doit s’assurer
la sécurité des voies de communication. Ce deuxième aspect
renvoie évidemment aux États-Unis, déployés militairement
partout dans le monde pour leur propre protection maritime.
Cette seconde faiblesse de la Chine doit donc être équilibrée
par des liens politiques.
Djibouti est un exemple à cet
égard. Dans la vision géostratégique chinoise, Djibouti
détient une place centrale dans la Corne de l’Afrique : vers
le Nord, la route maritime rejoint la Méditerranée en passant
par la mer Rouge et par le canal de Suez, et vers le Sud, la
route longe la Corne de l’Afrique, Madagascar et enfin Le Cap
pour rejoindre l’Atlantique. Ces deux voies de navigation sont
non seulement les artères économiques du monde, mais également
la ligne de survie des continents européens et nord-américains
pour l’approvisionnement en Afrique, au Moyen-Orient et en
Asie de l’Est. Mais ce qui importe le plus, c’est que ce
pays-ville contrôle l’ancienne « route des Indes » de l’empire
britannique au profit des intérêts européens. C’est donc là
que se situe l’enjeu géopolitique : non content de contrôler
des sources d’hydrocarbures en Afrique (particulièrement au
Soudan), la Chine doit également maintenir la sécurité de
l’acheminement de ses convois. Les deux facteurs doivent donc
se compléter pour assurer la totale sécurité du ravitaillement
en pétrole, d’où l’importance pour l’empire du Milieu
d’établir un lien de partenariat avec ce minuscule pays qu’est
Djibouti.
La politique chinoise en Afrique doit relever
deux défis : s’assurer des liens exceptionnels avec des
producteurs africains tout en réussissant à gérer les conflits
d’intérêt avec les grandes puissances, du fait qu’elle défie
le statu quo en termes d’intérêts et d’ordre international
imposés par les principaux
États-acteurs.
Une souplesse diplomatique :
l’exemple nigérian
Dans le cas nigérian, la Chine a
abouti à un lien où se mèlent commerce, matières premières et
soutien politique aux besoins de chacun des partenaires. La
diplomatie chinoise vis-à-vis du Nigeria fait montrer d’une
parfaite adresse adaptée aux circonstances.
Après avoir
fermement soutenu le régime du général Sani Abacha, Li Peng,
en sa qualité de Premier ministre et d’expert en énergie, a
effectué une visite spéciale au Nigeria en 1997 pour négocier
des projets de coopération pétrolière. Deux protocoles
d’accord sino-nigérians relatifs à la prospection chinoise
dans le bassin du Tchad et dans le delta du Niger ont suivi en
1997 et 1998. Par la suite, le ministre chinois des Affaires
étrangères, Tang Jiaxuan, s’est déplacé à Abuja en janvier
2000 afin de mener à bien l’achat de pétrole brut nigérian. En
contrepartie, la Chine s’est engagée dans divers projets
locaux, notamment la remise en état des chemins de fer
nigérians. Du point de vue politique, la réalisation de ces
projets a été considérée par le gouvernement chinois comme une
occasion-phare de consolider les échanges mutuels entre les
deux pays, afin de créer une ambiance plus propice dans tous
les domaines. Résultat : le total des transactions
commerciales a grimpé jusqu’à 856 millions de dollars en 2000,
soit sept fois plus qu’en 1993, année où Sani Abacha était
arrivé à la tête du Nigeria.
Lors de la visite à Abuja du
ministre chinois Tang Jiaxuan, en 2000, le président nigérian
Olusegun Obasanjo (au pouvoir depuis 1998) a su tirer parti
des atouts de son pays en matière de commerce et de ressources
naturelles. Il en a aussi profité pour exprimer sans réserve
sa forte insatisfaction en ce qui concerne la
non-représentation des pays africains au sein du siège
permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Obasanjo a
bien fait comprendre qu’il souhaitait une aide de la part de
la Chine pour obtenir deux sièges permanents en faveur de pays
africains, sous-entendu le Nigeria. Cette demande effectuée en
tête-à-tête avec le ministre chinois a, semble-t-il, été reçue
avec tiédeur. Pour démontrer la volonté vis-à-vis de
l’Afrique de son pays, Tang s’est contenté de répondre
que la Chine continuait à soutenir l’élargissement du Conseil
de sécurité et proclamait la nécessité d’accorder des sièges
aux pays africains .
Plus tard, au mois d’août de la même
année, le sujet a refait surface dans la déclaration commune
américano-nigériane, à l’occasion de la visite d’État du
président américain William Clinton à Abuja. L’engagement du
président américain n’apparaît cependant que dans le
paragraphe F de cette déclaration, où il est question d’un
effort conjoint au soutien du rôle des Nations Unies, en
particulier dans le domaine du maintien de la paix, de la
sécurité collective et du développement, et à la perspective
d’une réforme de cette grande instance internationale, y
compris de sa grille de contribution budgétaire . Le rapport
de forces entre le Nigeria et les Etats-Unis était évidemment
différent de celui entre ce même pays et la
Chine.
Répondant à la demande du Nigeria,
l’engagement chinois a été confirmé par un communiqué conjoint
sino-nigérian, dans son article 9, signé lors de la visite de
Jiang Zemin à Abuja du 14 au 16 avril 2002. C’était la
première fois que le gouvernement chinois s’engageait ainsi
dans un communiqué officiel international vis-à-vis d’un État
particulier. Tout est donc fait pour pouvoir accéder au marché
et aux ressources naturelles du Nigeria.
Dans l’article 2 de ce communiqué (l’article 1
sert de préambule introductif), il est stipulé que la
coopération économique et commerciale entre le Nigeria et la
Chine forme une dynamique puissante qui fait avancer le
développement des relations bilatérales. Les deux parties
contractantes y affirment également leur volonté de renforcer
et d’approfondir cette coopération économique et commerciale.
Cet article se termine par une valorisation de la coopération
dans le secteur énergétique, la Chine étant encouragée et
soutenue dans sa participation à l’exploitation des
hydrocarbures au Nigeria. Il est évident pour la Chine que le
fait de pouvoir se procurer des hydrocarbures prime sur
l’aspect symbolique d’être l’unique représentant permanent
«non blanc» et « non issu du monde avancé » auprès du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Cela dit, grâce à sa souplesse
diplomatique, la Chine est enfin parvenue à s’insérer sur le
marché pétrolier du Nigeria, marché déjà très concurrencé et
quasi-totalement monopolisé par les
Occidentaux.
À l’encontre des intérêts
américains : l’exemple soudanais
Le
rapprochement Pékin Khartoum dans le domaine des hydrocarbures
constitue pour le Soudan un nouveau réseau de « clients et
d’alliés » . Cette brèche chinoise que le gouvernement
soudanais a su aménager lui permet de contourner les embargos
et les sanctions des Nations Unies. Ainsi, la Chine s’est
abstenue de répondre aux exigences de cette grande instance
internationale, qui lui demandait, dans sa résolution 1054 de
1996, d’expulser de son sol les agents diplomatiques soudanais
.
Le rapprochement entre les deux pays assure au Soudan le
soutien de Pékin pour réussir un tour de force, celui de
pouvoir bénéficier de la bienveillance d’un des États membres
du Conseil de sécurité des Nations Unies. Sachant que les
investissements chinois dans le projet pétrolier du Soudan
seront amenés à s’étaler sur plusieurs années encore avant que
l’exploitation puisse atteindre un rendement optimal, il
s’agit là d’une espèce de garantie de longue durée très chère
au gouvernement soudanais, mis de côté par la communauté
internationale.
Le Soudan a par ailleurs fait l’objet de
soupçons en tant que relais occulte dans la prolifération des
technologies chinoises de fabrication de missiles. Ainsi,
d’après une enquête de la CIA américaine menée en l’an 2000,
la Corée du Nord, soutenue par la Chine, aurait cherché à
construire une usine destinée à la fabrication de missiles
pour l’Irak sur le sol soudanais . Par la suite, le
quotidien britannique Daily Telegraph, s’appuyant sur des
informations rassemblées par des agences occidentales
d’anti-terrorisme, a rapporté qu’un groupe de Chinois à la
fonction mystérieuse avait été capturé par l’Armée de
libération des peuples du Soudan (connu sous le sigle anglais
SPLA), force d’opposition protestante, lors d’un combat contre
le gouvernement soudanais .
Le quotidien britannique
poursuit en expliquant que la Chine était prête à envoyer
plusieurs centaines de milliers de soldats et de prisonniers
sur place pour protéger, en tant que gardes de sécurité, ses
investissements pétroliers. Pour un observateur international,
il semble douteux que Pékin soit capable d’un tel déploiement
humain ; mais cela prouve que le gouvernement chinois était
directement et militairement impliqué dans les conflits
internes soudanais en faveur des autorités en place à
Khartoum, du fait de ses intérêts dans les champs pétroliers
(proches des zones de conflit) du Soudan. Tout
particulièrement en l’an 2000, le conflit entre les deux
Soudans était entré dans une nouvelle phase, car la SPLA avait
consolidé son contrôle dans la zone frontalière et pris une
position offensive vers le Nord . Face à une telle situation,
la Chine ne pouvait que s’ingérer dans ce conflit purement
interne au Soudan, pour des « raisons d’État ». Rappelons que
la non-ingérence dans les affaires internes est pourtant un
des cinq piliers du fameux principe de co-existence pacifique
dans la diplomatie chinoise.
Malgré tout, le
danger de guerre persiste pour les installations pétrolières
soudanaises : John Garang, leader du groupe rebelle du
Sud-Soudan, a affirmé plus tard que l’accord relatif à la
non-offensive contre des objectifs civils, signé en mars 2002
avec le gouvernement de Khartoum sous les bons offices des
États-Unis, ne couvrait pas les installations pétrolières
opérées par les pays étrangers sous l’égide du gouvernement de
Khartoum . Ce type d’attaques devrait donc continuer.
D’ailleurs, les Américains ferment les yeux sur ce point,
probablement pour non seulement porter atteinte aux
investissements chinois dans le secteur pétrolier du Soudan
mais aussi priver le régime de Khartoum de son pactole
étranger.
La Chine est contrainte de subir
les conséquences négatives issues de son lien soudanaiset
en paye un prix élévé, y compris pour des affaires à priori de
faible importance. Ainsi, dans la perspective de réduire le
déficit en hydrocarbures chinois par des investissements dans
des gisements à l’étranger, l’entreprise pétrolière
PetroChina, filiale de la CNPC, envisagea, en 2000, d’entrer à
la bourse de New York. Son offre publique était estimée à un
capital de 10 à 15 milliards de dollars. C’est un cas trivial
de société entrant en Bourse. Mais cet événement était
hautement surveillé par des organisations défendant les droits
de l’Homme. La PetroChina fut tout de suite dénoncée par des
organisations et soupçonnée de financer des opérations
militaires au Soudan contre les séparatistes chrétiens du sud
du pays.
La quête de capitaux sur le marché américain
par cette entreprise chinoise suscita donc de vives polémiques
aux États-Unis. Spencer Bachus, député et président de la
sous-commission de la politique monétaire à la Chambre
américaine des Représentants, prit l’initiative de s’adresser
directement au président Clinton, attirant son attention sur
ces capitaux amassés par l’entreprise chinoise sur le marché
américain, car ces fonds financeraient, par le biais de
l’investissement, le régime de Khartoum contre les soudanais
chrétiens
Le député Bachus avait toute raison de
croire que les investissements chinois au Soudan étaient
directement liés à l’amélioration de la capacité militaire de
Khartoum. L’enquête du New York Times révéla que « le
gouvernement de Khartoum a doublé ses dépenses militaires
depuis 1998, alors qu’il n’a aucun revenu pétrolier » . Quant
à Clinton, dans sa lettre adressée à un groupe religieux
soucieux de la violation répétitive des droits de l’Homme dans
le monde, il exprima sans réserve ses inquiétudes sur «
l’implication de ces nouvelles recettes pétrolières [de la
PetroChina] » . En réponse à la pression de l’opinion, Clinton
prit des mesures destinées à sanctionner les entreprises
étrangères qui investissaient dans ce pays en leur interdisant
l’accès au marché américain. Suite aux protestations du
gouvernement canadien (dont, rappelons-le, une entreprise
pétrolière, Talisman, est présente au Soudan sous forme de
joint-venture), les sanctions américaines se limitèrent aux
entreprises pétrolières soudanaises, en représailles contre
les flagrantes violations des droits de l’Homme de leur
gouvernement. Cela dit, la PetroChina est quand même entrée à
la Bourse new-yorkaise, mais pour un montant beaucoup plus
modéré d’uniquement 3,1 milliards de dollars.
De plus,
l’exemple américain a encouragé les groupes défendant les
droits de l’Homme de l’autre côté de l’Atlantique : le public
anglais s’est mobilisé pour condamner la British Petroleum
pour sa participation imprudente au secteur pétrolier en
Chine, sans avoir tenu compte de la mauvaise réputation de
cette dernière en ce qui concerne les droits de l’Homme
.
Rapprochement encore plus
étroit
Le "Développement" est un maître mot de
la politique intérieure de la Chine Pour elle, se développer
signifie se libérer des contraintes imposées par d’autres
puissances pour sa future émergence en tant que grande
puissance à l’échelle régionale, sinon mondiale. L’énorme
carence en hydrocarbures de la Chine freinerait la brillante
croissance économique du pays et remettrait en cause le vieux
rêve chinois d’être un « État fort ».
La politique chinoise
d’approvisionnement en pétrole brut d’Afrique porte ses fruits
puisque l’Afrique est devenue une source importante
d’approvisionnement en hydrocarbures pour la Chine. C’est un
phénomène tout à fait nouveau et ses conséquences dépassent le
contexte sino-africain.
La Chine est de plus en
plus dépendante de l’Afrique.
Cette situation de
dépendance nous aide à combattre l'idée reçue selon laquelle
l'Afrique ne jouerait qu'un rôle géopolitique et géoéconomique
pour la Chine.
Désormais, les considérations sur
l’approvisionnement en hydrocarbures font partie intégrante
des critères ou bien des variables qui doivent être pris
prioritairement en compte dans l’analyse de la politique
étrangère de la Chine envers l’Afrique. Cela montre que
l’Afrique a toujours joué un rôle déterminant dans la sécurité
de la Chine : pour contrecarrer la pression soviétique pendant
la guerre froide et pour soulager le joug énergétique
aujourd’hui. Le continent noir est d’ores et déjà un
partenaire, non seulement politique, économique et commercial,
mais aussi sécuritaire pour l’empire du Milieu. L’enjeu est
suffisamment considérable pour la Chine.
Le pétrole
est une matière première stratégique. Le cas du Soudan nous
montre bien que pour le gouvernement chinois, tous les moyens
disponibles doivent être mobilisés pour obtenir du
pétrole.
Pour l’avenir, outre l’élargissement
des sources d’approvisionnement en Afrique, ce qui importe le
plus pour Pékin, c’est de prendre toutes les mesures
possibles, qu’elles soient politiques, économiques ou
diplomatiques, pour mettre en place un mécanisme sûr qui
stabiliserait le ravitaillement en or noir. La Chine est donc
amenée à se rapprocher davantage encore du continent
africain.
Chung-lian
Jiang