Wed June 29, 2005
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Bakassi: Les enjeux d’une nouvelle guerre

 


Aurore PlusDOUALA - 24 Juin 2005
© FRANCOIS LASIER, Aurore Plus

Les Camerounais constatent aujourd’hui que la bataille de Bakassi était loin d’être terminée avec le verdict de la Haye. Il faut aujourd’hui préparer une autre. Qui n‘est plus du ressort de la Cour Internationale de Justice.

Les observateurs étaient très peu nombreux en 2002 à ne pas jubiler à la lecture du verdict de la Cour internationale de Justice sur le conflit de Bakassi. La CIJ avait certes reconnu la camerounité de la presqu’île, mais les initiés savaient que le verdict était inapplicable sur le terrain. Le verdict de la CIJ ne fixait aucun délai pour le retrait des troupes nigérianes, pas plus qu’il ne prévoyait des voies de recours en cas de non respect du verdict par la partie nigériane.

Or les avocats et les experts camerounais s’attendaient à beaucoup plus qu'une réparation, sous le contrôle du Conseil de sécurité de l’Onu du préjudice subi par le Cameroun du fait de l'occupation d'une partie du territoire camerounais par le Nigeria. Les ressources pétrolières et halieutiques de la presqu’île sont exploitées depuis par des multinationales, pour le compte du Nigeria qui en est devenu le premier producteur d’Afrique noire et un des ténors de l’Opep alors que le Cameroun menace dangereusement d’être rayé de la carte des pays producteurs de pétrole.


Alerte maximum

En l’espace de deux semaines, les troupes nigérianes ont perpétré deux attaques contre les installations militaires camerounaises à Bakassi. Cette fois, l’affaire n’est plus du ressort de la Cour internationale de Justice. Une commission d’enquête ad hoc devra être constituée pour établir les responsabilités et pour apprécier si on devra s’en tenir à la Convention de Genève ou, à défaut, au droit de la Guerre. Nous sommes en plein dans une affaire différente du conflit frontalier sur Bakassi.

Il est des signes qui ne trompent pas. Les troupes nigérianes et camerounaises sont à nouveau sur le pied de guerre à Bakassi. En fait de guerre, malgré les visites de courtoisie que les deux parties multiplient et les interminables sessions des commissions mixtes, la poudre a continué à parler au front. Malgré les bons offices de Kofi Anan, les Nigérians ont adopté la position du j’y suis, j’y reste. Un formidable pied de nez à la communauté internationale et à la Cour internationale de Justice. La partie nigériane a multiplié des subterfuges depuis l’arrêt de la Haye, arguant un coup qu’elle était impuissante face au refus de ses ressortissants résidant dans la péninsule de se retrouver sous administration camerounaise. Pour bien marquer le coup, alors qu’on s’attendait à un retrait des troupes fédérales du territoire camerounais, Olusegun Obasandjo a plutôt choisi de multiplier des divisions lourdement armées le long de la frontière. Ceux qui avaient triomphé à l’annonce du verdict de la Haye avaient jubilé trop tôt. Les acteurs avisés se faisaient un autre avis sur la question. Aucune clause de l’arrêt ne contraignait le Nigeria à céder Bakassi. En cas de refus, le Nigeria n’encourt aucune sanction de la communauté internationale. Il ne reste plus que l’alternative d'une guerre dont le Cameroun n’a pas Les moyens.

Le Cameroun cherche alliés

De ne pas avoir les moyens d’une guerre ne signifie aucunement qu’on ne la prépare pas. Paul Biya a reçu il y a quelques semaines à Etoudi la visite du chef des Etats majors des armées françaises. A sa sortie d’audience, l’officier supérieur français s’est contenté de quelques déclarations laconiques qui trahissent cependant la gravité de la situation. Sa visite au Cameroun avait pour but, officiellement, de signer des accords de coopération entre l’école française de guerre et l’Emia, de former les militaires camerounais à la protection de ses frontières maritimes et à la sauvegarde de ses richesses off shore. La guerre n’est décidément plus loin.

En dépit des accords de coopération militaire en le Cameroun et la France, le scepticisme est permis. En 1993, des troupes françaises avaient dû être dépêchées à Bakassi pour sauver l’armée camerounaise d’une belle déroute. Il n’est pas certain que la France aille plus loin que cette étape. C’est connu, entre les nations, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. Et intérêts pour intérêts, le Cameroun pèse cent fois moins que le Nigeria pour les intérêts économiques de la France. Avec cent millions d’habitants, la première puissance pétrolière d’Afrique noire ne manque pas d’arguments. Le Cameroun n’a que l’avantage d’une position stratégique dans le pré-carré francophone d’Afrique centrale. Le Nigeria représente à lui seul quatre fois la population de l’Afrique centrale francophone. Au moment où l’Union africaine se déploie pour gagner une place au conseil de sécurité, trois noms circulent: Nigeria, Egypte, Afrique du Sud. Les stratèges français ne commettront pas l’erreur de s’aliéner le Nigeria.

Depuis des années, après la fermeture de la chaîne de montage Peugeot au Nigeria, les majors françaises du pétrole ont superbement pris le relais. Elf et Total sont parmi les plus grosses compagnies pétrolières opérant au Nigeria. Détail supplémentaire, le pétrole exploité sur Bakassi enrichit au premier chef les compagnies françaises.

La France se retrouve ainsi dans une situation cornélienne. Entre le Cameroun et le Nigeria, le choix sera est douloureux. Le malheur du Cameroun est de ne pouvoir compter que sur la France, il devra payer le prix d’une diplomatie molle. Une autre erreur supplémentaire de la diplomatie camerounaise aura certainement consisté à boycotter le sommet de l’Union Africaine qui se tient justement à Abuja et qui verra Olusegun Obasanjo prendre le flambeau de l’organisation panafricaine pendant une bonne année. L’occasion pour lui de resserrer des liens qu’il sait cultiver. Dans la bataille de Bakassi, le Nigeria s’est déjà gagné un allié inattendu, la petite Guinée Equatoriale, qui tire le plus gros de son pétrole d’un puits foré dans la zone de no man‘s land convenue en 1974 entre les présidents Ahidjo et Gowon.

Kofi Anan pourra-t-il désamorcer la bombe ? Et si le Nigeria décidait de passer outre à l’instar d'Israël qui a royalement ignoré, depuis des dizaines d’années la résolution 242 du Conseil de sécurité qui lui ordonnait d’évacuer les territoires palestiniens occupés? Si on n’y prend garde, Bakassi restera de longues années encore sous la houlette du Nigeria qui ne consentira à en partir que lorsque les réserves pétrolières seront épuisées .