Les observateurs
étaient très peu nombreux en 2002 à ne pas
jubiler à la lecture du verdict de la Cour internationale
de Justice sur le conflit de Bakassi. La CIJ avait certes
reconnu la camerounité de la presqu’île, mais
les initiés savaient que le verdict était
inapplicable sur le terrain. Le verdict de la CIJ ne fixait aucun
délai pour le retrait des troupes nigérianes, pas
plus qu’il ne prévoyait des voies de recours en cas
de non respect du verdict par la partie nigériane.
Or
les avocats et les experts camerounais s’attendaient à
beaucoup plus qu'une réparation, sous le contrôle du
Conseil de sécurité de l’Onu du préjudice
subi par le Cameroun du fait de l'occupation d'une partie du
territoire camerounais par le Nigeria. Les
ressources pétrolières
et halieutiques de la presqu’île sont exploitées
depuis par des multinationales, pour le compte du Nigeria qui
en est devenu le premier producteur d’Afrique noire et un
des ténors de l’Opep alors que le Cameroun menace
dangereusement d’être rayé de la carte des pays
producteurs de pétrole.
Alerte
maximum
En l’espace de deux semaines,
les troupes nigérianes ont perpétré deux
attaques contre les installations militaires camerounaises à
Bakassi. Cette fois, l’affaire n’est plus du
ressort de la Cour internationale de Justice. Une commission
d’enquête ad hoc devra être constituée
pour établir les responsabilités et pour apprécier
si on devra s’en tenir à la Convention de Genève
ou, à défaut, au droit de la Guerre. Nous sommes en
plein dans une affaire différente du conflit frontalier sur
Bakassi.
Il est des signes qui ne trompent pas. Les
troupes nigérianes et camerounaises sont à nouveau
sur le pied de guerre à Bakassi. En fait de guerre, malgré
les visites de courtoisie que les deux parties multiplient et les
interminables sessions des commissions mixtes, la poudre a
continué à parler au front. Malgré les
bons offices de Kofi Anan, les Nigérians ont adopté
la position du j’y suis, j’y reste. Un formidable pied
de nez à la communauté internationale et à la
Cour internationale de Justice. La partie nigériane a
multiplié des subterfuges depuis l’arrêt de la
Haye, arguant un coup qu’elle était impuissante face
au refus de ses ressortissants résidant dans la péninsule
de se retrouver sous administration camerounaise. Pour bien
marquer le coup, alors qu’on s’attendait à un
retrait des troupes fédérales du territoire
camerounais, Olusegun Obasandjo a plutôt choisi de
multiplier des divisions lourdement armées le long de la
frontière. Ceux qui avaient triomphé à
l’annonce du verdict de la Haye avaient jubilé trop
tôt. Les acteurs avisés se faisaient un autre avis
sur la question. Aucune clause de l’arrêt ne
contraignait le Nigeria à céder Bakassi. En cas
de refus, le Nigeria n’encourt aucune sanction de la
communauté internationale. Il ne reste plus que
l’alternative d'une guerre dont le Cameroun n’a pas
Les moyens.
Le
Cameroun cherche alliés
De ne pas avoir
les moyens d’une guerre ne signifie aucunement qu’on
ne la prépare pas. Paul
Biya a reçu il y a quelques semaines à Etoudi la
visite du chef des Etats majors des armées françaises.
A sa sortie d’audience, l’officier supérieur
français s’est contenté de quelques
déclarations laconiques qui trahissent cependant la gravité
de la situation. Sa visite au Cameroun avait pour but,
officiellement, de signer des accords de coopération entre
l’école française de guerre et l’Emia,
de former les militaires camerounais à la protection de ses
frontières maritimes et à la sauvegarde de ses
richesses off shore. La guerre n’est décidément
plus loin.
En dépit des accords de coopération
militaire en le Cameroun et la France, le scepticisme est permis.
En 1993, des troupes françaises avaient dû être
dépêchées à Bakassi pour sauver l’armée
camerounaise d’une belle déroute. Il n’est pas
certain que la France aille plus loin que cette étape.
C’est connu, entre les nations, il n’y a pas d’amis,
il n’y a que des intérêts. Et intérêts
pour intérêts, le Cameroun pèse cent fois
moins que le Nigeria pour les intérêts économiques
de la France. Avec cent millions d’habitants, la première
puissance pétrolière d’Afrique noire ne manque
pas d’arguments. Le Cameroun n’a que l’avantage
d’une position stratégique dans le pré-carré
francophone d’Afrique centrale. Le Nigeria représente
à lui seul quatre fois la population de l’Afrique
centrale francophone. Au moment où l’Union
africaine se déploie pour gagner une place au conseil de
sécurité, trois noms circulent: Nigeria, Egypte,
Afrique du Sud. Les stratèges français ne
commettront pas l’erreur de s’aliéner le
Nigeria.
Depuis des années, après la
fermeture de la chaîne de montage Peugeot au Nigeria, les
majors françaises du pétrole ont superbement pris le
relais. Elf et Total sont parmi les plus grosses compagnies
pétrolières opérant au Nigeria. Détail
supplémentaire, le pétrole exploité sur
Bakassi enrichit au premier chef les compagnies françaises.
La France se retrouve ainsi dans une situation
cornélienne. Entre le Cameroun et le Nigeria, le choix sera
est douloureux. Le malheur du Cameroun est de ne pouvoir compter
que sur la France, il devra payer le prix d’une diplomatie
molle. Une autre erreur supplémentaire de la diplomatie
camerounaise aura certainement consisté à boycotter
le sommet de l’Union Africaine qui se tient justement à
Abuja et qui verra Olusegun Obasanjo prendre le flambeau de
l’organisation panafricaine pendant une bonne année.
L’occasion pour lui de resserrer des liens qu’il sait
cultiver. Dans la bataille de Bakassi, le Nigeria s’est
déjà gagné un allié inattendu, la
petite Guinée Equatoriale, qui tire le plus gros de son
pétrole d’un puits foré dans la zone de no
man‘s land convenue en 1974 entre les présidents
Ahidjo et Gowon.
Kofi Anan pourra-t-il désamorcer
la bombe ? Et si le Nigeria décidait de passer outre à
l’instar d'Israël qui a royalement ignoré,
depuis des dizaines d’années la résolution 242
du Conseil de sécurité qui lui ordonnait d’évacuer
les territoires palestiniens occupés? Si on n’y prend
garde, Bakassi restera de longues années encore sous la
houlette du Nigeria qui ne consentira à en partir que
lorsque les réserves pétrolières seront
épuisées .
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