Courrier européen

Airbus A380, la fierté de l’Europe est à 40 % américaine

18/01/2005 • 17h28


Célébrée en France, la présentation du dernier-né de la gamme Airbus ne fait pas les gros titres de la presse européenne.

Aux Etats-Unis, Boeing est certes battu, mais les sous-traitants d’Airbus peuvent se frotter les mains.


Quatre chefs d’Etat et de gouvernement représentant la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne seront présents à Toulouse pour l’inauguration de l’A380, un quadriréacteur de 555 à 840 places, le plus gros avion de ligne jamais construit. Près de 5.000 invités, dont de nombreux journalistes, étaient attendus lors de cet événement conçu pour marquer les esprits.

"Comment susciter une effervescence globale à propos d’un produit élaboré depuis six ans ?" A cette insolente question, The Wall Street Journal répond non sans une certaine défiance : "Tel est le pari que l’avionneur européen Airbus relève aujourd’hui, alors qu’il dévoile son premier gros porteur A380 tout juste sorti des ateliers d’assemblage. Airbus espère utiliser cette inauguration pour susciter de l’enthousiasme pour son avion auprès de ses cibles privilégiées : les compagnies aériennes et le grand public." La sortie de l’A380 s’inscrit dans la lutte commerciale acharnée que se livrent les deux plus gros constructeurs aéronautiques au monde, Airbus et Boeing.

Néanmoins, note Der Spiegel, "quand, aujourd’hui, les chefs de gouvernement célébreront la présentation de l’A380, beaucoup de techniciens d’Airbus ne lèveront que furtivement les yeux de leur travail. Ils subissent une énorme pression pour respecter le compte à rebours jusqu’au premier vol, observe l’hebdomadaire allemand sur sont site Internet. A l’approche du baptême de l’air, les ingénieurs ont la fièvre. La fin du mois de mars dira s’ils se sont trompés dans leurs simulations."

Pour Le Soir, "en réalité, le lancement de l’Airbus A380, qui a englouti près de 14 milliards d’euros d’investissements, impressionne davantage par le pari économique qu’il représente. En lançant ce gros-porteur, Airbus annonce à la planète qu’il mise sur le développement du trafic de ‘hub’, et moins sur le trafic de ‘point à point’." Ce dernier modèle est en pleine expansion auprès des compagnies à bas prix, qui transportent les passagers d’une ville souvent petite ou moyenne à une autre sans correspondance, explique Le Soir. Boeing mise sur ce marché et se concentre sur la fabrication d’avions long-courriers de petite taille.

"Airbus et Boeing s’attendent tous les deux à voir tripler le trafic aérien sur les vingt prochaines années, souligne The Economist. Mais les deux rivaux ne s’accordent pas sur la manière de satisfaire la demande. Airbus espère que l’A380 l’aidera à conserver l’avance prise sur Boeing en 2003 quand, pour la première fois depuis que le consortium européen a émergé comme rival de Boeing au début des années 1970, il a vendu plus d’avions que son concurrent américain. L’énorme marché du transport aérien, tel qu’escompté pour les années à venir, permettra aux deux constructeurs de vendre quantité de nouveaux avions. L’A380 mis à part, Airbus et Boeing semblent disposer tous les deux d’atouts. Le succès de ce superjumbo pourrait bien décider si les Européens pourront voler beaucoup plus haut que les Américains dans les prochaines années."

Pour sa part, El Mundo est acquis d’avance à la cause de l’A380. "Il manquait un argument définitif, indiscutable face à son grand concurrent nord-américain Boeing, pour marquer la domination d’Airbus. Cet argument sera présenté aujourd’hui à Toulouse et entrera en service l’an prochain." C’est que "pour l’Espagne, l’A380 est un défi et une grande opportunité". El Mundo rappelle fièrement que la contribution industrielle espagnole aux avions Airbus est passée de 4,2 % à 10 % dans le cas de l’A380.

"Tout est possible à l’Europe, dès qu’elle le veut vraiment", s’enthousiasme dans Die Welt Günter Verheugen, commissaire européen à l’Industrie. "Les Etats-Unis devront bien regarder comment la vieille Europe, Royaume-Uni inclus, va leur voler le statut de plus gros constructeur d’avions civils du monde. Il y a des années, Boeing, en tant que seul producteur de gros avions, s’était détourné du projet de superjumbo, parce qu’il ne voyait aucune promesse de marché. C’était visiblement une mauvaise décision. Pour Airbus, cet avion complète la gamme. Mais même sans lui, le consortium européen a déjà pris aux Américains la place de numéro 1."

En outre, "on décerne déjà à l’avion le statut de machine à emplois, pas seulement dans son Europe natale, mais aussi aux Etats-Unis. La participation de l’industrie aéronautique allemande a créé 10 000 emplois outre-Rhin, qui dépendent directement ou indirectement de l’A380. Quand la production passera à huit unités par mois, ce chiffre pourrait facilement atteindre les 40 000. Les analystes estiment qu’aux Etats-Unis, 100 000 emplois seront directement issus du gros-porteur européen. Environ la moitié des 149 exemplaires déjà commandés voleront avec des réacteurs américains, ce qui fait monter à 40 % la proportion de matériel américain dans ces machines", observe Die Welt.

Pour la Berliner Zeitung, le succès industriel d’Airbus est aussi celui de son patron, Noël Forgeard, une "étoile montante". Car "si Airbus a finalement devancé son concurrent américain Boeing, c’est avant tout parce que Forgeard, d’une main de fer, en avait fait une entreprise puissante. Depuis des années, c’est Airbus qui, dans le groupe franco-allemand EADS, réalise les plus gros bénéfices."

Marie Béloeil et Philippe Randrianarimanana © Courrier international